Pierre de Gaulle : sa vision de la France dans le concert des nations
PORTRAIT – Le petit-fils du Général regrette que la France s’aligne sur les États-Unis et l’Otan dans le conflit ukrainien. Au nom de l’amitié historique avec la Russie et de la pensée gaullienne, il le proclame haut et fort.
Un de Gaulle peut en cacher un autre. On connaît celui de juin 1940, moins celui de juin 2022. Comme son grand-père, auquel il se réfère volontiers, Pierre de Gaulle, quatrième fils de l’amiral Philippe de Gaulle, affirme être un «homme du refus». Le refus d’une guerre russo-ukrainienne, qu’il considère comme fomentée par les États-Unis et contraire aux intérêts de la France.
Aux antipodes de la position quasi unanime des Occidentaux défendant l’Ukraine envahie par un agresseur violant toutes les règles du droit international, il a exprimé cette iconoclaste opinion dans une allocution prononcée le 14 juin dernier à l’ambassade de Russie, à l’occasion de la fête nationale de la Fédération. Quelle mouche a donc piqué ce conseiller en stratégie et en finances d’entreprise, titulaire d’un master d’HEC et résident helvétique, pour qu’il se lance à 59 ans dans une polémique où il n’y a que des coups à prendre ?
La Russie était vue par mon grand-père comme l’allié de revers indispensable parce qu’elle participait à sa conception de l’équilibre de l’Europe.
« L’Europe est la grande perdante »
Pierre de Gaulle n’a pas de mots assez durs pour dénoncer le conflit actuel.
Indifférent à la condamnation générale dont fait l’objet la Russie, il continue à assumer crânement ce qu’il avait affirmé en juin: «C’est une guerre économique et financière menée contre Moscou par les États-Unis, relayée par l’Union européenne et alimentée par l’Otan. Mais les grands perdants sont les Européens car nous payons le prix fort. Nos entreprises sont menacées par la facture énergétique. Elles sont contraintes de réduire leur production et de mettre leurs salariés au chômage technique.
L’inflation et la récession accentuent la fracture sociale. En revanche, les États-Unis, qui veulent se battre jusqu’au dernier Ukrainien, voire jusqu’au dernier Européen, ne prennent aucun risque. Ce sont les vrais gagnants de cette guerre. La meilleure preuve, c’est la décision prise en décembre par le président Zelensky de confier la reconstruction de son pays au fonds d’investissement américain BlackRock.»
«J’ai estimé qu’il était de mon devoir de rétablir la vérité en tant qu’héritier du Général, répond-il. Mon intervention du 14 juin est une initiative personnelle.
Elle n’était pas prévue: je ne l’ai écrite que la veille. J’en ai évidemment informé l’ambassadeur, mais il ignorait ce que j’allais dire. Nos deux peuples sont liés par de longues années d’amitié et par le sang versé contre les nazis. Plus encore, la Russie était vue par mon grand-père comme l’allié de revers indispensable parce qu’elle participait à sa conception de l’équilibre de l’Europe. Je suis frappé par cette pensée unique qui présente systématiquement Vladimir Poutine comme le méchant et son homologue ukrainien comme le gentil.» Et de citer son aïeul: «La décision funeste de Napoléon Ier d’attaquer Alexandre Ier est la plus lourde erreur qu’il ait commise. Rien ne l’y forçait. C’était contraire à nos intérêts, à nos traditions, à notre génie. C’est de la guerre entre Napoléon et les Russes que date notre décadence.»
En livrant des armes à Kiev, la France se
met en danger.
Pierre de Gaulle ne nie pas le fait que la Russie soit l’agresseur dans cette affaire, mais il pense que Vladimir Poutine y a été forcé: «L’Occident n’a pas tenu ses engagements des années 1990 (de ne pas s’étendre vers l’est, NDLR). L’expansionnisme débridé et irréfléchi de l’Otan était-il supportable pour Moscou? Comment voulez-vous que le président russe ait réagi face à cet encerclement? Mais qu’on ne s’y trompe pas: contrairement à ce qu’on martèle partout, les Russes sont loin d’avoir perdu. Ce sont des joueurs d’échecs. Ils ont contenu leur inflation à 3 % et réorganisé leur production.
On dit Vladimir Poutine isolé sur la scène internationale mais, en réalité, il est soutenu par des pays comme la Chine, l’Inde ou l’Arabie saoudite. Quant à sa population, elle l’approuve à 60 %: allez trouver l’équivalent dans un pays occidental!»
«En livrant des armes à Kiev, conclut-il, la France se met en danger. Nous sommes aujourd’hui inféodés à l’Otan et nos armées, en sous-capacité de personnel et de matériel, en dépendent de manière honteuse. Où est la France souveraine et respectée de mon grand-père?» Une prise de position qui ne laissera personne indifférent. Y compris sans doute jusque dans sa propre famille.
1 réflexion sur “Pierre de Gaulle : sa vision de la France dans le concert des nations”
Un homme courageux car comme le dit l’ article il va prendre des coups.
Et une position non pas radicale mais… raisonnée!